quaidesorfevres
3 min readAug 1, 2021

COMPAGNONNAGE AVEC LA PEUR

Dans notre milieu, on pourrait s’éterniser autour de mille dictionnaires pour essayer d’établir une échelle relativement précise entre le stress et la peur. Ce qui nous permettrait, peut-être, d’éviter le fond de l’affaire qui nous intéresse : la situation de madame/monsieur tout le monde lorsqu’une épaisse rumeur se diffuse comme un éclair ou lorsque survient une catastrophe, encore une.

Au début des années 90, alors que l’Internet ne faisait pas encore partie de notre quotidien, je rendais visite, un vendredi après-midi, à un ami correspondant respecté d’une Agence de Presse. Cher ami, lui dis-je, il y a rumeur persistante de coup d’Etat pour ce week-end. Il me répondit en souriant: «Le coup, ce sera pour la semaine prochaine». En effet, le coup eut lieu le prochain week-end. S’agissant d’une manœuvre sous grand contrôle, l’inattendu absolu ne figurait pas au programme.

Aucune étude sérieuse n’a encore été faite concernant l’impact de ces dramatiques événements dans la tête et l’estomac du citoyen tout le monde. J’insiste avec l’estomac, car les grandes peurs semblent crisper estomac d’abord avant de ramollir les membres et relâcher les sphincters. Dans la terrible nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet, nous avons dû gérer la stressante succession d’appels téléphoniques relatant l’infernal concert de calibres divers en provenance du quartier présidentiel des hauteurs, agrémentés de multiples messages WhatsApp au contenu autant précis qu’inquiétants. Au matin, nous avions encore en tète toute cette agitation qui nous rendait tellement inconfortable au point que le téléphone devenait de plus en plus pesant.

Notre estomac était noué et nos membres en tombaient au point de ne pas trouver la force et les mots pour communiquer à mon supérieur hiérarchique, né sous la présidence d’Elie Lescot, l’information de l’assassinat de Président. Lorsque finalement je trouvai la force de lancer l’appel, j’ai ressenti un « ouf » complexe de soulagement à l’audition de sa voix. Malgré le stress difficilement supportable à son âge, il avait quand même réussi à s’accrocher au fil déjà ténu de son existence pour encaisser stoïquement la nouvelle que son fils de l’étranger lui avait apprise quelques minutes auparavant.

Le calme plat dans mon voisinage, d’ordinaire bruyant, mesurait le niveau de l’impact de cet évènement dans l’esprit des gens. Des confidences glanées par-ci, par-là, relataient la perturbation prudente ou obligée des activités ordinaires, même au point d’éviter une douche froide, de parler trop fort et surtout de s’aventurer dans les rues vides. Des nouvelles de décès subits nous parvinrent aussi, par stroke ou par arrêt cardiaque, les gens déjà fragilisés par tant de stress étaient foudroyés en apprenant les circonstances du drame.

Nous voici pratiquement deux semaines plus tard… Je ne vous cacherai pas que mes oreilles et mes yeux observent tout, tout autrement. Mes souvenirs me projettent en ce lointain jeudi 22 avril 1971. L’avenue des Marguerittes était déserte, lorsque mon père et moi franchissions le portail de l’établissement Roger Anglade. La cour était étonnamment vide à 7h du matin, car rien n’avait encore été dit concernant un chômage, consécutivement à l’annonce officielle la veille, au soir, du décès du président à vie de la République. Me voici dans une drôle d’investigation plus ou moins historique pour savoir si notre collectivité ressentait autant de peur qu’actuellement.

Grâce à ces lignes, je suis certainement parvenu à surmonter de longues heures profondément volcaniques dans mon estomac.

Gilbert Mervilus

Info Gazette Médicale, #8, juillet 2021

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